1618, à Loudun, dans le Poitou
L’évêque de Luçon (futur Cardinal de Richelieu) doit prendre la tête d’une procession religieuse. Mais Urbain Grandier, jeune prêtre prétentieux de la paroisse, né en 1590 à Bouère, lui ravit la préséance et défile devant lui.

Quelques années plus tard
Cela fait quinze ans que le père Grandier est arrivé dans la paroisse. Depuis le début, il est la cible de ragot, de jalousie,… Il est un excellent orateur, est bel homme, a du charisme, est sympathique et est libre d’esprit. Certains l’apprécient beaucoup, vont jusqu’à l’accueillir chez eux, mais d’autres le détestent. Malgré qu’homme d’église, Urbain Grandier est un vrai don juan. Il enceinte la fille du procureur du roi, Philippa, quinze ans, à qui il apprend le latin. L’enfant est déclarée comme étant celle de la nourrice mais personne n’est dupe. Le scandale éclate et Urbain Grandier abandonne la fille pour une autre, Madeleine de Brou, dix-huit ans, orpheline issue de la haute noblesse, dont il a la charge spirituelle. Alors qu’elle se prépare à prendre le voile, il parvient à la faire renoncer. Elle demande alors le mariage. Ne pouvant pas accéder à sa requête à cause de son statut de prêtre, Grandier se met à écrire un pamphlet « Traité contre le célibat des prêtres » (que l’on découvrira plus tard dans ses papiers), dans lequel il rappelle que jadis il n’y avait aucune interdiction pour un prêtre de se marier. Ce n’est seulement qu’au XIème siècle que le célibat a été imposé par l’Église. Son traité vient au mauvais moment. L’Église est en pleine contre-réforme, la discipline se fait plus accrue. Cela n’est pas du tout bien vu ; cela choque. Urbain Grandier, qui n’a pas dit son dernier mot, se marie lui-même avec Madeleine de Brou, en secret. Peu après, la supérieur du couvent d’Ursulines de Loudun, Jeanne des Anges, propose au prêtre de devenir le nouveau confesseur. Il refuse. Jeanne des Anges demande alors au chanoine Pierre Mignon, qui, lui, accepte. Le chanoine Mignon est un ennemi de Grandier. Il ne supporte pas sa façon d’agir. Il est aussi un proche du père Joseph, principal conseiller occulte du cardinal de richelieu. Le chanoine Mignon commence, petit à petit, à rassembler tous ceux qui sont contre Grandier. Une cabale prend forme. Pendant 10 ans, ils vont enchaîner les procédures judiciaires, tentant de se débarrasser du prêtre séducteur. Grandier est suspendu « a divinis » (il ne peut plus administrer les sacrements) pour Loudun et de cinq ans pour le diocèse. Son ami l’archevêque de Bordeaux, Monseigneur Henri d'Escoubleau de Sourdis, parvient à faire lever cette suspension. Le cardinal de Bordeaux lui conseille de s’en aller mais il refuse, narguant ainsi ses ennemis.
À cette époque, le cardinal de Richelieu a en tête d’abattre toutes les forteresses du royaume, l’un des derniers vestiges de la féodalité qui souhaite annihiler afin de rétablir l’autorité seule du roi. Son projet comprend la forteresse de Loudun, cité où cohabitent protestants et catholiques. Urbain Grandier se ligue contre ce projet. En 1627, le pamphlet « Lettre de la cordelière de la reine mère à M.de Baradas » contre le cardinal de Richelieu lui est attribué.
Début de l’année 1632, une épidémie de peste voit le jour. Elle fait 3 700 victimes, plus d’un habitant sur quatre. Cela terrorise la population. Elle prend fin en automne de la même année.

Nuit 15 septembre 1632. Dans le couvent d’Ursulines de Loudun, rue du Pasquin.
La supérieure, Jeanne des Anges, et la sœur Marthe de Sainte Monique, aperçoivent une ombre, puis entendent la voix du confesseur du couvent, Moussaut, décédé il y a quelques mois. Les jours qui suivent, de plus en plus de sœurs sont témoins de cette étrange affaire. Au fur et à mesure, ce n’est plus le confesseur Moussaut qui est aperçu, mais le prêtre Urbain Grandier. Le 21 septembre au soir, Jeanne des Ange est prise de convulsion, suivie par deux autres. Le chanoine Mignon en est convaincu : elles sont possédées par le Malin. Elles n’ont aucun doute : le responsable est Urbain Grandier. Le chanoine fait appel à un exorciste de renom : Pierre Barré, de la paroisse Saint-Jacques de Chinon. Illuminé, il fait les voyages à pied, accompagné de ses paroissiens. Il prie, brandit le crucifix, asperge les malheureuses d’eau bénite, demande au démon comment il s’appelle, la raison pour laquelle il est là et lui commande ensuite de s’en aller. Les religieuses, alors attablées dans le réfectoire, voient une boule noire traverser la pièce. La pandémie se répand. Après deux mois, ce sont 17 sœurs qui se retrouvent possédées. Elles blasphèment, convulsent, se promènent à demi-nues,… Toute accuse Urbain Grandier. L’évêque de Poitiers arrête le prêtre accusé. Celui-ci est interrogé par le tribunal ecclésiastique. Il fait appel à son ami, l’archevêque de Bordeaux. L’archevêque demande à ce qu’on examine les religieuses une à une, qu’on les interroge et qu’on repère la preuve de l’existence du mal, c’est-à-dire des manifestations corporels incongrus, si les possédées comprennent des langues qu’elles ne savaient pas avant et si elles connaissent des secrets que seul les démons peuvent savoir, comme ce qui se passe à l’autre bout du monde. Aucune preuve n’est trouvée. L’archevêque de Bordeaux envoie ses propres exorcistes dans le couvent, mais le chanoine Mignon les empêche d’entrer, prétendant que le Malin est parti. Urbain Grandier est acquitté.
Un commissaire spécial de Richelieu arrive, Jean Martin, le Baron de Laubardemont, qui s’était déjà, par le passé, penché sur des affaires de sorcellerie, notamment en Béarn. Il aurait fait condamner jusqu’à 120 personnes au bûcher. Le cardinal – qui a décidé de construire une ville à son nom à 20 km de là, lui a donné pour mission la destruction des remparts et du donjon de Loudun, ce à quoi s’oppose encore Grandier. Laubardemont entend parler de l’affaire des possédées de Loudun et s’y intéresse fortement, d’autant plus que deux religieuses du couvent sont ses belles-sœurs. Il rentre à Paris, fait son rapport au cardinal de Richelieu, lui assure avoir détruit le donjon et en profite pour lui parler des religieuses possédées, insiste sur le fait qu’il s’agit d’une affaire grave qu’il faut régler. Richelieu accepte. Il voit là un moyen de se venger de celui lui s’opposait fermement à le destruction des murailles. Il veut sa perte. Il convainc le roi de signer un ordre d’emprisonnement de Urbain Grandier, ainsi qu’une instruction confiant le procès à Laubardemont. Cette procédure, le cardinal ne l’utilise que pour des affaires politiques. Il choisit donc de ne pas traiter cette histoire de religieuses possédées comme une affaire religieuse. C’est à se demander pourquoi.
Carte blanche est donné à Laubardemont. Peu importe les moyens, il réussira dans ses objectifs. Un commission composé de 12 magistrats est constituée. On fouille la maison de Urbain Grandier. On y trouve uniquement le traité du célibat des prêtres. On l’accuse d’hérésie.
Le 6 décembre 1633, Grandier est arrêté.
Il est enfermé à Angers, durant quatre mois, coupé du monde. Pendant ce temps, le baron de Laubardemont ouvre une nouvelle instruction à Loudun. Les religieuses sont à nouveau interrogées. Trois exorcistes, les Pères Lactance, Tranquille et Surin, sont appelés. Les exorcismes se pratiquent en présence de Laubardemont et du chanoine Mignon durant plusieurs mois. Des médecins, apothicaires et chirurgiens se joignent à eux. Un gonflement important, des positions du corps anormal, une force surhumaine… sont surnaturels. Les séances se font ensuite à la collégiales Sainte-Croix en public. Cela devient comme un spectacle. Il y a énormément de monde. On vient pour rire ou pour s’indigner. C’est la confusion. Les religieuses se déchaînent, déchirent leurs vêtements, frappent les assistants, se contorsionnent, blasphèment, hurlent,… Les spectateurs viennent des villes voisines et, même, d’autres pays. Les étrangers restent plusieurs jours. Les hôtels sont complets. Pour les voyageurs, il faut absolument passer par Loudun, voir ce qui s’y passe. Les rumeurs les plus folles circulent. On dit, par exemple, que les religieuses s’envolent. On vient vérifier. Il ne se passe rien. On attend le lendemain… L’économie de la ville va très bien grâce à ses nouveaux touristes. Alors que certains pensent à une supercherie de la part de Richelieu, d’autres se persuadent que Grandier est coupable. On en parle dans de nombreux imprimés. Laubardemont, afn de réprimer les dissidents, rédige un décret stipulant que ceux qui affirment qu’il s’agit d’une supercherie seraient frappé d’une amande et de châtiment corporel. Il cherche après des témoins et des documents, ne gardent que ceux qui accablent Urbain Grandier. Trois religieuses veulent se rétracter mais on les oblige à ne pas le faire, prétendant que c’est le diable qui les pousse à vouloir démentir leurs accusations. En temps normal, Grandier pourrait faire appel au parlement de Paris, mais la procédure extraordinaire de Richelieu interdit tout recours. Le prêtre écrit au roi Louis XIII, sachant ce qui l’attend, espérant le persuader de son innocence. Le roi n’y prête pas attention.
Avril 1634
Laubardemont, qui cherche toujours des documents compromettants, fait ramener Urbain Grandier à Loudun. Il est cloîtré dans le grenier du chanoine Mignon. Une confrontation entre Grandier et les religieuses a lieue. Comme elles ne l’ont jamais rencontré, Grandier demande à ce qu’elles le reconnaisse parmi d’autres prêtres. On refuse. On amène l’homme devant les religieuses qui confirment le connaître. Elles se mettent à hurler s’agrippent à lui,… Il reste étonnamment placide et dit de les laisser le tuer si elles sont vraiment possédées par le Malin. Les ursulines sont ramenées au couvent. Pensant que Grandier posséder les signes de son pact avec le diable, Laubardemont le fait examiné par un chirurgien ennemi du prêtre. On lui inflige une traitement de plus en plus dur, on lui met un bandeau, on lui rase tout le corps, on lui enfonce des aiguilles et scalpel de chirurgien afin de trouver un point insensible (lieu d’entrée du démon),… Comme cela ne donne aucun résultat, le chirurgien le presse avec son pouce. Évidemment, Grandier ne sent rien. Il manque désormais le pacte écrit fait avec le Malin. C’est Jeanne des Anges qui le fournit aux juges. Le document, écrit en français, est signé par Urbain Grandier et par des démons. Il y promet de faire le plus de mal possible et de signer avec son sang. On fait venir le prêtre et remarque qu’il possède une coupure au pouce. Celui-ci prétend s’être fait ça en coupant son pain. Laubardemont conclut qu’il a bien signé le pacte. Les preuves s’accumulent contre lui. Le procès peut s’entamer.
La condamnation
La salle est plongée dans le noir, il n’y a que la table des juges qui est éclairée. Le procès ne dure en tout que trois jours. Nous sommes au mois d’août 1634. Les preuves sont rassemblées et exposées. Grandier n’a que très peu d’occasions de se défendre. Il clame son innocence en vain. Son ami et médecin Claure Quinet tente aussi de le défendre mais rien n’y fait. Les jeux sont déjà fait. Les religieuses vont même jusqu’à se rétracter, prétendant que le chanoine Mignon leur aurait soufflé quoi faire, mais on ne les croit pas. Le prêtre est condamné à mort. La condamnation est imprimée et largement diffusée pour cesser les polémiques et démontrer que la justice a fait son devoir. La sentence doit normalement être exécutée le même jour en place publique, mais Laubardemont souhaite des aveux complets. On soumet Grandier à la question, le torture, lui met les jambes dans des brodequins qui lui brisent les os. Urbain Grandier n’avoue pas. Le condamné est exhibé sur une charrette dans toute la ville. Il doit faire amende honorable devant le couvent des Ursulines, puis l’église Saint-Pierre du marché, là où il officiait. Brodequin espère encore des aveux. Le 18 août 1634, au matin, la foule s’amasse devant l’église Sainte-Croix. Urbain Grandier y brûle avec son pamphlet du célibat des prêtres.
Les exorcistes finirent également mal : Lactance mourut le mois suivant, Tranquille également, cinq ans après et Surin souffrit de possession durant vingt ans.
Le lendemain de l’exécution de Grandier, Madeleine de Brou se réfugie chez son beau-frère à Montreuil-Bellay. Elle n’y reste pas longtemps car elle est ramenée à Loudun les 3 septembre. On l’enferme en prison durant un mois. Elle en sort grâce à sa famille qui sont intervenu auprès du tribunal des Grands Jours à Poitiers. Richelieu demande à Laubardemont de cesser la poursuite contre la jeune femme le 28 novembre 1634.
La polémique continue
Les possessions continuent jusqu’en 1637. Sœur Jeanne des Anges, après avoir fait des pèlerinages pour se guérir de l’emprise du Malin, finit par devenir une sorte de Sainte. Elle ferait même des miracles. Des foules viennent la rencontrer sur son chemin. On veut voir sa main gauche, comme s’il s’agissait d’une relique, sur laquelle est écrit « Maria », « Jésus », « François de Sales » et « Joseph ». Elle est présentée à des évêques, au frère du roi, à Richelieu (dans sa chambre car il est alité ce jour-là), puis à la reine Anne d’Autriche et au roi Louis XIII par Laubardemont. Elle assiste également à la naissance de Louis Dieudonné, futur Louis XIV. Elle représente la victoire de l’Église contre le Mal.
Tout le monde se demande qui était derrière toute cette affaire. S’agirait-il d’une alliance entre plusieurs personnes pour un intérêt politique et religieux ? Certains pensent que les accusations contre Urbain Grandier ont démarré après qu’il ait refusé de devenir confesseur du couvent d’Ursuline. La supérieure, Jeanne des Anges (qui était difforme suite à un accident survenu dans sa jeunesse et qui ne pouvait, alors, plus prétendre à un mariage), qui s’était éprise secrètement de lui sans jamais l’avoir rencontré), et offusquée par son refus, aurait choisi le chanoine Mignon qu’elle savait être l’ennemi de Grandier, exprès. Elle aurait accusé Grandier d’ensorcellement pour se venger. Cela aurait entraîné une hystérie collective. Aurait-elle été atteinte de schizophrénie ? Hystérique ? Beaucoup le pensent. Serait une entente pour toucher une forte pension du roi ? En effet, à cette époque, si une possession était reconnue dans une communauté religieuse, le roi versait une pension généreuse au couvent afin de réparer notamment la mauvaise réputation. Et le couvent se trouvait justement en difficulté financière avant le début de l’affaire. Le chanoine Mignon ne serait-il pas l’instigateur afin de se venger de Urbain Grandier ? Mais il n’aurait pas pu influencer Laubardemont.

Celui-ci écrit une lettre au cardinal de Richelieu, lui disant qu’il s’est promit de convertir tous les hérétiques du royaume qui n’auront alors plus besoin que du commandement du souverain. Richelieu se faisait tenir au courant de l’avancer de l’enquête. Cette lettre est le compte-rendu final. Il y informe aussi avoir déjà obtenu la conversion de dix protestants depuis la mort de Grandier. La possession est également une forme de propagande par l’Église militante contre réformée et sert au combat pour la conversion des huguenots. Le cardinal de Richelieu chercher à convertir les derniers hérétiques. Il a besoin d’exemples. L’exécution de Grandier lui est utile. Il y a des intérêts personnels. Jusqu’où a-t-il été impliqué dans cette affaire ? Gardait-il rancœur au prêtre depuis le manque de courtoisie qu’il a eu envers lui en 1618, alors qu’il devait prendre la tête d’une procession ? Il était plutôt rancunier, mais cela pouvait-il suffire à amener quelqu’un jusqu’au bûcher ? Mais un agitateur, un fauteur de troubles lui déplaisait grandement. Et c’est ce qu’était Urbain Grandier. Des scandales l’entouraient, il était un don juan, il avait une ouverture d’esprit trop ouverte pour un prêtre et pour cette époque, il ne voulait pas que l’on détruise la forteresse de Loudun,... Il était incontrôlable et, en plus, c’était sur les terres du cardinal de Richelieu. L’exécution du prêtre affirmait l’autorité de Richelieu à Loudun. Il entendait mettre de l’ordre dans le royaume. Il voulait que le calme règne à l’intérieur du pays pour se concentrer ainsi sur l’Extérieur. Des troubles civiles et religieuses n’étaient donc pas tolérés. Urbain Grandier se serait alors retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment.
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Références :
Jean-Christian PETITFILS, Les Rois de France : Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI,éditions Perrin, décembre 2014
L’ombre d’un doute
Wikipédia
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84862b
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6560287p/f29.image
http://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/3987-laffaire-des-possedees-de-loudun.html
https://mythologica.fr/demon/loudun.htm
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jeanne-des-anges-vs-urbain-188841